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Audrey

le lyell

J’ai eu mon Lyell en 98, j’avais 27 ans. C’était juste après le 1er janvier.
Je l’ai fait à Limoges et ils m’ont transféré à Bordeaux chez les grands brûlés.
Est-ce que tu sais ce qui a déclenché le syndrome de Lyell ?
Oui. Pour moi, cela a été clairement identifié. C’ est les macrolides.
Tu faisais quoi dans la vie ?
J’étais commerciale dans une société de mobilier Roche Bobois Cuir Center. Je travaillais comme vendeuse là-bas.
Et tu avais déjà des enfants ?
Oui, j’avais deux petites filles, Pauline qui avait six ans à l’époque et Nina qui avait tout juste 18 mois .

les séquelles

Est-ce que tu as des séquelles ?
Alors oui, j’en ai eu tout de suite.
Tu veux bien m’en parler. Me dire ce que tu as comme séquelles ?
Alors principalement les yeux et les dents.
Et tu en es où aujourd’hui ?
Depuis mon Lyell, j’étais autonome. Je conduisais. Je ne faisais pas les trajets longs mais j’avais une vie quasi normale en terme d’autonomie. Bien sûr quand on dit normal, c’est jamais vraiment normal ! Enfin, ça s’est vraiment dégradé depuis deux ans. Mon œil fort qui me permettait d’être autonome a chuté à cause de la survenue d’une membrane qui vient obstruer ma vue et qui me gêne.
Et sans être indiscrète, ça te gêne de quelle façon. Est-ce qu’il y a quelque chose qui a changé ?
Je ne conduis plus. C’est ça le plus dur, c’est-à-dire que quand tu as conduis tout le temps et du jour au lendemain quasiment tu ne peux plus, c’est quand même dur. Il faut s’y faire. On change radicalement de rythme. Tu peux plus prendre ta voiture pour aller faire les courses. Soit tu y vas à pied ou tu prends le bus ou tu attends un membre de ta famille ou bien l’entourage.
Et pour lire, est-ce que tu as des difficultés ?
J’arrive à lire mais sur du papier, ça manque de contraste. Alors pour préciser, je peux lire oui, mais je ne peux pas lire des livres en entier comme je faisais avant. Je n’ai plus la lecture agréable. Ça brûle, c’est plus du tout un plaisir. Il faut lutter.

Quel est ton suivi ?
Je vais tous les 15 jours enlever mes cils par un ophtalmo près de chez moi. Ça, c’est le plus fréquent. Après, je vois deux fois par an une ophtalmo dans une clinique privée. Elle a été formée par un des centres de compétence qui connaît la maladie. C’est Madame Marty à Bordeaux. Après, je continue à voir le professeur Muraine à Rouen une fois par an ou tous les deux ans. Mais un peu plus en ce moment, car c’est quelqu’un qu’on va voir quand ça va mal. Et je vois Monsieur Gabison à Rothschild une fois par an aussi. Il est dans le privé, pour avoir une autre approche. J’ai vu aussi beaucoup Madame Delcampe qui collabore avec Monsieur Muraine et aussi le fabricant de nos lentilles.

Quels sont tes traitements aujourd’hui ?
80%, c’est des palliatifs aux larmes. Alors ce sont des larmes artificielles : Larmabak, Théalose, Artelac et j’hydrate la nuit au maximum+++ avec de la vitamine A. Je tente aussi des collyres un peu plus huileux et en ce moment, c’est Hylo lipid. Et depuis que j’ai mon problème à l’œil, je prends du sérum autologue.
Est-ce que tu as des lentilles ?
Oui, je suis porteuse de lentilles sclérales depuis 2004 si je ne dis pas de bêtises.
Est-ce que tu as eu des opérations chirurgicales au niveau des yeux ou autre ? Absolument aucune.

Est-ce que tu as une routine à nous faire partager ?
Pour les yeux, il y a toujours une routine. Tout dépend le niveau d’atteinte mais on a tous plus ou moins une routine. Moi, j’ai une vie quasi normale mais il faut bien enlever la vitamine A que l’on met pour dormir. On peut pas mettre les lentilles comme ça. On passe bien trois quarts d’heure une heure à nettoyer ses yeux. En gros, ma routine dure bien deux heures le matin, chaque matin. Ça commence pendant mon café. J’utilise des chaufrettes, ça c’est une astuce qui m’a été donné par une victime. On les fait chauffer dans l’eau chaude. C’est des petites chauffrettes que l’on utilise au ski. On clipse une pastille et ça les fait chauffer. Je me mets ça sur les yeux 10 minutes sur chaque paupière et j’enlève la pommade avec des compresses pour bien tout enlever avant de me lever. J’ai oublié, je mets du sérum autologue et j’attends un quart d’heure. Je fais aussi les lunettes chauffantes et pendant que je les fait je fais des étirements. Ça me fais passer le temps. Après, je vais sous la douche et là je masse. Avec la chaleur de la douche ça me fais du bien.

Tu as des lunettes à chambre humide ?
Oui, j’en ai fait faire tout au début dès ma sortie du Lyell j’ai eu la chance d’être prise en charge par un professeur à Limoges qui m’a envoyé directement chez LISSAC. Ils m’ont réalisé de très belles lunettes à chambre humide. Je peux le dire car j’en ai fait faire dans une autre ville, à Bordeaux, c’était catastrophique. Cela n’avait rien d’hermétique donc j’ai une troisième paire que j’ai faite faire à LISSAC Paris et qui est vraiment très efficace. Je pense qu’il faut vraiment se rendre au bon endroit pour les faire faire.

Est-ce que tu as testé des choses de façon personnelle qui ne t’ont pas été proposées par les médecins ?
Oui, et je ne veux pas être désagréable mais c’est grâce à mes rencontres avec d’autres victimes que j’ai eu des astuces pour mon quotidien qui m’ont soulagée. Il y a aussi le fabricant de lentilles qui m’a souvent aidée et c’est surtout en discutant avec des anciennes victimes que j’ai pu entamer de nouvelles choses.
Tu as un exemple ?
Par exemple, le sérum autologue. Il m’a bien été prescrit par un médecin mais cela faisait déjà un moment que l’on m’en avait parlé en me disant que ce serait bénéfique pour moi. Et curieusement, après je l’ai eu. J’ai l’impression que dans notre pathologie, ils sont très frileux.
J’ai aussi découvert un diffuseur de vapeur alors ça c’est top c’est quelque chose que je ne fais pas forcément tous les jours mais plutôt quand ça va pas, je mets de l’eau minérale dans l’appareil et je mets mon visage proche 10 minutes face à la vapeur, c’est un bonheur et je fais ça dans la journée n’importe quand. Ça s’appelle un King Steam faciale Nano. C’est ce qu’utilisent les esthéticiennes – c’est sur Amazon – après il y a des modèles plus cher bien sûr.
Comme autre astuce, on a un protocole au niveau de nos lentilles. On les met dans un liquide de nettoyage la nuit et une fois par semaine dans un décontaminant plus fort, Et quand je remettais mes lentilles, la journée était foutue car cela me brûlait les yeux. C’est une amie qui a eu un Lyell qui m’a donné ce conseil. Je les nettoie biene. Je rince au polyrinse après au menicare et après je les remets pendant deux heures dans le produit que j’utilise la nuit Everclean de chez Avizor. Et là ça me brûle beaucoup moins les yeux.
Il y a aussi le fabricant de lentilles Frédéric Baechele qui m’a donné une astuce quand mon œil est très sec. Je rempli la lentille de Vismed. J’ai l’impression que ça me fait du bien.

Est-ce que tu peux me parler de tes séquelles dentaires ?
Alors je suis allée, il y a plusieurs années, à une expertise avec une amie qui a eu aussi un Lyell. Là, on m’a détecté une parodontite. C’est une accumulation de poches de bactéries qui attaque l’os et qui déchausse les dents. Là, pareil, la prise en charge minable. Pas de rendez-vous avant un an dans le public. On comprend bien que si on attend un an les bactéries ont rongé les dents et ce n’est plus la même chose. Donc, je suis allée dans le privé. Je ne te dis pas le coût financier. J’en suis au moins à 15 000 € de frais dentaires. Donc, je suis allée voir un paro qui a tout assaini. Je lui ai demandé si cela avait un lien avec mon Lyell. Et là on te dit : « on ne sait pas ». Encore une fois on te met tous les freins. On te dit : « c’est peut-être génétique, héréditaire ». Ma mère n’est plus là mais elle n’avait aucune pathologie. Mais bon, maintenant, c’est quand même affirmé qu’il y a des séquelles dentaires avec le Lyell. Donc j’ai perdu quelques dents, par chance au fond, et j’ai des implants. Donc je suis suivie dans le privé. J’y vais deux fois par an où il fait une maintenance. C’est un détartrage+++.

Est-ce que tu as eu besoin dans ton parcours d’un soutien psychologique ?
Pour être tout à fait honnête j’ai vu quelques psychiatres puisque j’ai fait un procès.
J’ai fait un procès au laboratoire et mon avocate de l’époque avait recommandé de voir un psychiatre, alors pour le procès mais aussi pour mon état psychologique. Alors, j’en ai vu trois. Le premier m’allongeait sur le canapé et je racontais ma vie. Cela ne me convenait pas. j’en ai vu une deuxième pareil. Et j’en ai vu une troisième qui suivait aussi ma fille. Je sais que c’est anti déontologique mais elle m’a aidée à passer le cap ou du moins à l’éclaircir.
C’était combien de temps après ton Lyell ?
Je l’ai fait tard finalement. J’en ai vu tout de suite après mais ça n’a pas fonctionné. Et puis bien longtemps après environ sept ans. Il faut savoir que mon procès a duré 11 ans.
Moi c’est un arrangement que j’ai eu car les labo font tout pour signer des arrangements pour ne surtout pas générer de jurisprudences. Je ne peux pas en dire plus. Mais j’aurais besoin d’un soutien psychologique même maintenant. C’est difficile le quotidien auquel on est confronté, chacun à son stade. Ce n’est pas normal. Pour moi, c’est surtout une écoute bienveillante.

Qu’est-ce qui a été le plus dur pour toi : Est-ce que c’était la phase aiguë, le retour à la maison ou après?
Alors moi c’est surtout après. La phase aiguë, je ne sais pas ce qui s’est passé. Pourtant, j’ai eu un syndrome de Lyell assez important. J’ai été touchée à 80 % et avec des séquelles oculaires sévères. Le plus dur pour moi, c’est le manque d’information. C’est encore le cas aujourd’hui. On manque d’information. Je me suis vue aller voir tous les ophtalmo de Limoges et on m’a dit : « arrêtez de vous plaindre ça va s’arranger. Ça suffit maintenant ». Donc, on est dans un désarroi total. Et en face, on a un professionnel qui dit que tes problèmes et tes douleurs, c’est pas grave ! Ca va passer. Et aujourd’hui, même en allant voir des professionnels du Lyell, on a toujours cette incompréhension de notre état, et moi, psychologiquement ça m’affaiblit autant que mes douleurs aux yeux. On a l’impression d’avoir des gens en face qui ne comprennent pas ce qu’on leur explique. Le problème, c’est la prise en charge. Parfois on a l’impression qu’il faut les remercier de s’intéresser à notre cas et de faire un petit peu. Moi c’est comme ça que je ressens les choses.
Est-ce que tu penses avoir vécu un syndrome post traumatique ?
Bah bien sûr, la peur de mourir en permanence. Soigner ses enfants après un épisode comme ça, sachant que j’en ai quatre, ce n’est pas évident. J’ai eu deux enfants après mon lyell. Tout ça c’est compliqué. Et puis, il y a le regard des autres. Moi je suis dans une certaine autonomie mais j’ai des lunettes noires. Alors au mois de mars, en pleine campagne limousine, les gens vous regardent de travers. Ce n’est pas le plus grave mais ça en fait partie. Ce sont des choses qu’il faut surmonter. En fait, le plus dur, c’est qu’on doit sans arrêt surmonter : surmonter la douleur, surmonter l’incompréhension, surmonter le regard des autres. C’est très fatiguant. Déjà, l’état de nos yeux, c’est fatiguant.

Est-ce que tu vois d’autres séquelles ?
Oui mes ongles. C’est vrai que c’est important mais pas seulement au niveau esthétique manuellement également parce que quand on a un ongle fendu en deux, c’est compliqué pour coiffer ses enfants et pour certaines tâches du quotidien. C’est une vrai galère, ça fait mal. Maintenant, j’ai fais faire un semi permanent avec un renforcement plus +++. Je vais attaquer avec du gel. Les ongles deviennent durs. On peut tout faire avec. Mais je trouvais que c’était un peu épais et j’ai demandé ce qu’on pouvait faire. Et on a fait donc un semi permanent avec renforcement. C’est sensationnel et ça camoufle bien. J’en ai un au pied et trois aux mains.

Est-ce que tu travailles ?
Non, j’ai arrêté de travailler assez rapidement après le Lyell. Pour moi, c’était trop une lutte, j’ai pas eu le courage.
J’ai commencé par un arrêt maladie longue durée puis par mi-temps thérapeutique.
J’ai arrêté de travailler en 2001 au moment où j’ai eu mon troisième enfant. J’ai monté mon affaire, une petite agence immobilière. J’ai tenu un an et pour moi, c’était trop compliqué. J’ai donc arrêté et j’ai une pension d’invalidité par la CPAM.

Quelle sont tes difficultés aujourd’hui ?
Mes plus grosses difficultés sont mes frustrations. Je suis quelqu’un un peu sur pile et cette pathologie et ses séquelles oculaires enlèvent toute spontanéité quotidienne. C’est impossible de sortir du lit et de dire « tiens je vais aller chercher des croissants » ou bien « tiens on va voir le coucher de soleil ce soir ». C’est ça le plus difficile. Ce sont les frustrations mon plus gros problème.

Est-ce que tu as quelque chose d’important à nous dire, qui te tient à cœur ?
Je crois qu’on a tous une façon personnelle d’aborder la maladie : la contrainte, la douleur. C’est peut-être un peu bateau mais quand on garde espoir et le moral, ça peut avoir une incidence sur nos yeux. Ça peut peut-être permettre d’avancer le plus positivement possible même si c’est une vie au ralenti par rapport aux autres.

Merci beaucoup Audrey pour ce partage.